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Droit commercial. Dans une décision récente de la Cour d’appel du Québec, le juge Dalphond s’est prononcé sur la portée des articles 119 et 145 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (L.c.s.a.) qui portent sur les responsabilités et obligations des administrateur en matière de rémunération et sur la notion de convention unanime des actionnaires qui peuvent restreindre les pouvoirs des administrateurs. (Allard c. Myhill, 2012 QCCA 2024).
LES FAITS
En 1998, la compagnie en faillite Inter Canadien inc. est achetée par trois personnes spécialisées dans le redressement d’entreprises en difficultés : Robert Myhill, Michael Cochrane et Jay Lilge par le biais de la Société I.C.N. Delstar inc., filiale de Canadian Eastern Airlines Ltd. Suite à cette transaction Inter devient une société franchisée de la compagnie Canadian Airline. Myhill, Cochrane et Lilge sont désignés administrateurs d’Inter et Delstar, actionnaire d’Inter, signe une convention unanime des actionnaires afin de retirer tous les pouvoirs aux administrateurs. Cependant, la gestion des opérations quotidiennes d’Inter étaient assumée par Myhill. En 1999, Myhill, Cochrane et Lilge démissionnent comme administrateurs d’Inter et à la fin de la même année, Inter met fin à ses opérations
Les employés d’Inter ont déposé cinq actions qui ont fait l’objet d’une audition commune devant la Cour du Québec et ont été rejetées en 2005. Ils plaidaient notamment qu’il était illégal de décharger les administrateurs de leur responsabilité à l’égard des salaires impayés par une convention unanime des actionnaires. Ils invoquent aussi que Myhill, Cochrane et Lilge ont été, en tout temps, les administrateurs de facto d’Inter et qu’ils devaient donc assumer la responsabilité pour les salaires impayés prévue à l’art. 119 de la L.c.s.a.
LA DÉCISION DE LA COUR DU QUÉBEC
La Cour du Québec a conclu qu’Inter dépendait totalement de Canadian Airlines et que, par conséquent, elle était incapable de prendre des décisions par elle-même. De ce fait, les gestes de gestion posés par Myhill se résumaient à des actes de gestion et de direction pour le compte de Canadian Airlines, l’administrateur réel d’Inter. La Cour du Québec a également conclu que les administrateurs étaient sans pouvoir en raison de la convention unanime de l’actionnaire Delstar.
LA DÉCISION DE LA COUR D’APPEL
Le juge Dalphond rappelle d’abord que même si les administrateurs ont des obligations envers la société et qu’ils doivent agir dans son meilleur intérêt, on ne peut les obliger à demeurer en fonction lorsque la société éprouve des difficultés financières. Il confirme aussi le caractère légal des conventions unanimes des actionnaires qui peuvent restreindre en partie ou en totalité les pouvoirs des administrateurs.
Concernant la responsabilité pour les salaires impayés, la Cour d’appel souligne que la jurisprudence reconnaît qu’il s’agit d’une obligation personnelle qui incombe à ceux qui exercent le contrôle décisionnel ultime sur le fonctionnement de la société. En général, ce sont les administrateurs élus qui ont cette obligation. Sinon, ce sont les personnes qui exercent de fait le contrôle décisionnel qui doivent remplir cette obligation. Ces personnes sont des administrateurs de facto. Ce raisonnement consacre le principe voulant qu’une personne morale ne puisse agir que par des êtres humains et qu’ultimement, il se trouve toujours une personne physique qui en assume le contrôle. Ainsi, pour l’application de l’article 119 de la L.c.s.a. qui prévoit la responsabilité en matière de rémunération, c’est à cette personne physique qu’il faut s’en remettre puisqu’elle a l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour garantir le paiement des salaires et autres dettes dues aux employés.
La Cour souligne qu’il serait absurde de conclure qu’en présence d’une convention unanime des actionnaires, la personne qui constitue l’administrateur de facto à qui incombe l’obligation reliée aux salaires impayés soit libérée de toute responsabilité en cas de défaut de mettre en place des mesures pour protéger les salariés. Le mécanisme de la convention unanime des actionnaires faisant en sorte que ce sont d’autres personnes qui exercent les pouvoirs et assument les obligations des administrateurs, il ne doit pas être préjudiciable aux tiers.
LA CONCLUSION
Fort de se raisonnement, la Cour d’appel a conclu que Myhill, Cochrane et Lilge étaient les administrateurs de facto d’Inter et qu’ils n’ont pas été en mesure de démontrer qu’ils ont agi avec la diligence et la compétence dont une personne prudente aurait fait preuve dans les mêmes circonstances. Elle confirme ainsi un principe important en matière de responsabilité des administrateurs. Dubé Légal inc., avocats en droit commercial à Montréal.