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Droit des successions, dettes de la succession : Dans une décision rendue en mois de décembre 2012, la Cour supérieure a exercé la discrétion qui lui est accordée par l'article 835 du Code civil du Québec. La Cour a décidé que même si les héritiers n'ont pas procédé au dressement d'un inventaire, un fait qui normalement les rend responsable du paiement des dettes de la succession au-delà de la valeur des biens qu'ils ont receuillis, une preuve de bonne foi, de la survenance d'un fait nouveau ou de l'impossibilité de pouvoir connaître l'existence du créancier au moment de la liquidation et de la modification substantielle de l'étendue de leur obligation sera une preuve suffisante pour permettre au tribunal de limiter leur responsabilité (Caouette c. Boutin-Jacques (Succession de), 2012 QCCS 6283).
LES FAITS
En avril 2003, madame Alfreda Boutin-Jacques, âgée de 85 ans, vend sa résidence au demandeur, Jimmy Caouette. La vente est faite avec la garantie légale. En octobre 2009, madame Boutin-Jacques décède. Son testament prévoit que le résidu de ses biens sera partagé à parts égales entre ses quatre enfants et en décembre 2009, les héritiers partagent la somme de 4 500$. Ce partage se fait toutefois sans dresser un inventaire et sans publier un avis de clôture de cet inventaire au registre approprié.
Au début de l'année 2011, le demandeur, qui est en voie de revendre la propriété qu'il avait achetée de madame Boutin-Jacques, fait appel à un expert dont le rapport révèle que le terrain est fortement contaminé par la présence d'hydrocarbures et que des travaux de plus de 40 000$ seront nécessaires pour procéder à la remise d'état du sol. De ce fait, le demandeur réclame aux héritiers de feue Alfreda Boutin-Jacques la somme de 38 000$ pour vices cachés.
LA POSITION DES PARTIES
Les deux parties reconnaissent que les héritiers de la défunte, dont le défendeur, n'ont pas suivi la règle voulant qu'un inventaire et un avis de clôture soient publiés au registre approprié.
Le demandeur
Le demandeur soutient que cette contravention claire à la loi a pour effet d'obliger les héritiers au paiement de toutes les dettes de la succession, et ce, même au-delà de la valeur des biens recueillis suite à la liquidation de la succession. Ces dettes comprennent la demande en vices cachés du demandeur.
Le défendeur
Quant au défendeur, la préparation d'un inventaire, même si elle avait eu lieu, n'aurait pas permis au demandeur de récupérer un montant supérieur à la somme de 4 500$ provenant de la succession, étant donné que la réclamation en vices cachés ne se serait pas trouvée dans l'inventaire. Conséquemment, le défendeur, invoquant sa bonne foi, demande au tribunal d'exercer la discrétion qui lui est accordée par l'article 835 du Code civil du Québec et de réduire cette obligation qui incombe aux héritiers.
LA DÉCISION DE LA COUR SUPÉRIEURE
Tout d'abord la Cour supérieure rappelle que l'obligation de garantie contractée en 2003 par la défunte, lors de la vente de son immeuble, a été transmise à ses héritiers et ainsi, les obligations monétaires pouvant découler de cette garantie constituent des dettes de la succession. En temps normal, les héritiers ne sont pas tenus des obligations du défunt au-delà de la valeur des biens qu'ils recueillent suite à la liquidation de la succession. Par exception toutefois, les héritiers qui dispensent le liquidateur de faire inventaire ou omet eux-mêmes de le faire, acceptent, de ce fait, d'être tenus au paiement des dettes de la succession au-delà des bien recueillis. Le cas d'espèce est justement un cas d'exception.
La Cour supérieure souligne ensuite son pouvoir de faire tomber cette exception en exerçant la discrétion qui lui est confiée par l'article 835 du Code civil du Québec. Selon cette disposition, lorsqu'il y a preuve de la bonne foi de l'héritier tenu aux dettes, la survenance d'un fait nouveau ou l'existence d'un créancier que l'on ne pouvait connaître et la modification substantielle à l'étendue de l'obligation de l'héritier, le tribunal peut limiter la responsabilité des héritiers à la valeur des biens recueillis.
Dans les circonstances, une telle limitation de l'obligation des héritiers s'impose. Au jour de son décès, toutes les dettes existantes de la défunte paraissent avoir été payées, de sorte que les héritiers ont procédé au partage de la somme de 4 500$. Cela étant, même si les héritiers avaient dressé l'inventaire requis par la loi, la créance du demandeur, qui ne soupçonnait pas à ce moment qu'il y aurait une réclamation en vices cachés, ne s'y serait pas trouvée.
Les héritiers, n'ayant aucune façon de connaître la qualitié de créancier du demandeur, étaient de bonne foi lorsqu'ils ont accepté la succession de leur mère. De toute évidence, leur obligation se trouverait substantiellement modifiée s'il fallait qu'ils paient le montant de 40 000$, soit le coût de décontamination du terrain.
CONCLUSION
La Cour supérieure décide donc que la responsabilité des héritiers sera limitée à la valeur des biens qu'ils ont collectivement recueillis en acceptant la succession de feue Alfreda Boutin-Jacques. Selon la Cour, il s'agit de l'illustration parfaite d'une situation où sa discrétion prévue à l'article 835 du Code civil du Québec mérite d'être exercée. Dubé Légal inc., avocats en droit des successions à Montréal.